Critique littéraire

Critique : Sword Art Online – Aincrad

Une brillante réflexion bridée.

Note introductive à la présente analyse

Le tome 01 Sword Art Online – Aincrad édité en France par « OFELBE » réunit les deux premiers tomes publiés au japon : le tome 1 et le tome 2, japonais. L’analyse suivante choisira d’envisager l’ouvrage à la fois comme un tout, ayant une cohérence interne aux deux parties, mais se devra également d’esquisser les problèmes narratifs, inhérents au format de publication de Light Novel.


Ce choix éditorial de la part de « OFELBE » n’est pas sans signification quant au genre du
Light Novel qui entraîne des répercussions concrètes sur le récit. Ne pouvant se contenter d’une simple esquisse de ces problèmes, un autre article étudiant plus en profondeur le genre littéraire du Light Novel sera rédigé. Dans cette autre analyse, Sword Art Online y sera analysé d’un autre point de vue, tel qu’il a été originellement publié au japon.

Enfin, l’ouvrage ne souffrira d’aucune comparaison avec l’adaptation anime puisque la présente analyse évaluera exclusivement la dimension littéraire de l’œuvre.

Introduction

Sword Art Online est un roman de Reki Kawahara, rédigé pour participer au Grand Prix du Roman de Jeu Dengeki, en 2002. Trois mois séparent la publication japonaise des deux premiers tomes de Sword Art Online. L’histoire se déroule dans un jeu-vidéo « MMORPG », qui mets en scène un monde qui recèle autant d’histoire que de joueur. La matière littéraire de Sword Art Online s’avère être donc conséquente. L’histoire et le monde de SAO se déploient donc sur deux tomes bien distincts. Néanmoins, ces deux tomes, dû à leur genre de Light Novel, demeurent en réalité très court et l’écriture se révèle être simple.

Comment, à travers une publication en Light Novel et sa simplicité intrinsèque, SAO déploie-t-il sa matière littéraire : une réflexion poussée sur le réel ?

I. Un récit victime de son genre : Le Light Novel.

Le récit de Sword Art Online se fonde sur un MMORPG, c’est-à-dire un monde suffisamment vaste pour accueillir des milliers de personnages, se devant donc de regorger d’une infinité de décors et d’histoires. Le récit semble donc disposer d’une matière littéraire conséquente qui paraît toutefois incompatible avec le format court et simple de Light Novel. Pour ainsi comprendre les enjeux et problèmes qu’implique ce genre, il convient de définir brièvement la notion de Light Novel.

Le Light Novel est un phénomène éminemment japonais. C’est avec conviction que l’on peut dire qu’il peut s’agir soit d’un genre romanesque, soit d’un mode de publication, les deux étant intimement liés. Celui-ci est écrit pour amuser et distraire ses lecteurs qui sont essentiellement collégiens ou lycéens. Dès lors, les nombreuses caractéristiques qui fondent le genre du Light Novel proviennent de ce lectorat ciblé. Pour ne pas lasser son public les Light Novel sont courts : généralement inférieur à 200 pages. De plus, ils sont également simples : composés de nombreux dialogues, très courts, d’un éminent point de vue interne, et d’un postulat simple, facile à comprendre et à suivre.

A. Un personnage cliché… qui suscite d’autant plus l’admiration.

Cette logique stricte d’écriture destinée à plaire à son public se retrouve dans nombre d’aspects de l’œuvre, et notamment dans le personnage de Kirito.

Dans le Light Novel, le personnage de Kirito apparaît comme stéréotypé : celui-ci est timide, renfermé sur lui-même, évitant les interactions sociales : « j’éprouvais encore plus de difficulté à fréquenter le gens que dans le monde réel. » (p.19). Il apparaît comme le lycéen lambda du japon. Le récit, bien qu’ayant conscience de cela, se complaît à approfondir la dimension stéréotypique de Kirito. Par exemple, le personnage qui se liera d’amour avec Kirito est idéalisé, hyperbolisé. Asuna est présentée comme étant la fille la plus belle, la plus populaire, la plus désirée de tout l’Aincrad. Cette caractérisation inutile décrédibilise le récit qui perd de son originalité en plus de se conformer à une idée clichée. Ces hyperboles décrédibilisent également le personnage d’Asuna tant elle entre dans le canevas stéréotypé de la fille populaire. Cette caractérisation a pour unique but de flatter l’ego des lecteurs qui s’identifient au personnage de Kirito.

Si le récit perd de son originalité, la dimension stéréotypée du personnage de Kirito permet de favoriser l’admiration du lecteur. Puisque les faits d’armes sont accomplis par un personnage « lambda », semblable à tout à chacun, ce qu’il réussit se révèle être à la portée de tous, et plus particulièrement du lecteur. Le sentiment d’admiration, via les faits d’armes accomplis, est d’autant plus fort que le lecteur s’identifie au personnage. De plus, introduire la dimension timide du personnage permet également de souligner le développement de Kirito qui, au fur et à mesure de son parcours, développera son propre caractère, qualifié d’excentrique, réfléchi, calme et étrange.

B. Un récit simplifié et expédié.

Le genre romanesque de Light Novel qui implique brièveté et concision, révèle un récit qui se retrouve simplifié et voir même, expédié.

En raison de cette concision impliquant une contrainte de signes, l’introduction du personnage d’Asuna se révèle être trop abrupte. Il n’y a, pour ainsi dire, aucune introduction du personnage, si ce n’est un simple paragraphe du narrateur. Dès lors, la romance entre Asuna et Kirito manque de logique tant elle est expédiée. Le lecteur a du mal à comprendre ce qui justifie cette relation. Une explication est effectivement suggérée dans la « deuxième partie » mais n’est pas assez mise en avant pour un élément qui se révèle être fondamental au récit. Le genre de Light Novel oblige l’auteur à faire des concessions sur des éléments fondamentaux, tels que le récit même. Dans le cas de la relation Asuna-Kirito, le genre romanesque de Light Novel entache la cohérence du récit.

Avec la publication au format Light Novel, le récit souffre de simplifications qui nuisent à l’efficacité du récit. Par exemple, la voix narrative de Sword Art Online ne reste que factuelle. Elle ne prend pas de recule pour réfléchir aux problématiques que le monde décrit soulève : elle ne fait que les suggérer. De plus, certains développements sont ellipsés, et certaines tensions sont minimisées. En somme, le propos du récit reste le même : il demeure toutefois moins frappant.

Enfin, de manière paradoxale, même si la voix narrative est celle du personnage de Kirito qui amène son point de vue interne, le récit manque de lyrisme et de sentiment interne au personnage sur le monde qui l’entoure ; que ce soit les éléments du jeu, les décors ou les objets, qui sont désormais sa réalité.

C. De la bipartition du roman.

Comme évoqué dans la note introductive, l’éditeur français a choisi d’inclure le deuxième tome dans le premier, sous la désignation « deuxième partie ». Conscient des problèmes qu’impliquerait une publication décalée, la bipartition du roman a de nombreux avantages palliant les défauts de la publication en Light Novel.

L’ajout d’une seconde partie permet de compléter la première qui ne se suffit pas à elle-même. Cette deuxième partie permet d’appuyer la vraisemblance de l’univers. Le monde du jeu-vidéo apparaît comme un monde autonome qui s’assimile à un véritable un terrain de jeu pour les joueurs, grâce aux quêtes et combats de groupes. L’ajout d’une seconde partie permet également d’appuyer l’immensité et l’autonomie de l’univers. En somme, l’univers est si grand qu’il justifie l’écriture d’une deuxième partie, et potentiellement d’une troisième. Cet ajout permet également de confirmer le propos du récit, et peut être même, de distinguer une clé de lecture de l’œuvre. L’importance des éléments esquissés dans la première partie est appuyée, et les bénéfices du jeu-vidéo dans la vie des gens sont mis en avant : facilite et codifie les interactions sociales, sentiment de réussite, de progression et d’accomplissement grâce aux récompenses du jeu, regain de l’estime de soi. La bipartition du roman permet de corriger les problèmes du récit mais également de prolonger les scènes décrites qui ne sont que l’esquisse d’un monde bien plus grand. L’idée, introduite dans la partie 1 et soulignée dans la partie 2, selon laquelle Asuna et Kirito représentent chacun une philosophie de vie permet d’appuyer le rôle qu’a la partie 2 de compléter et de préciser la partie 1.

Toutefois, la bipartition dilue ces questions, propos et problématiques : elles sont éparpillées et non concentrées. Elles gagneraient à être insérées directement au sein de la partie 1. Dès lors, le récit soulève des problématiques intéressantes mais perd en force et en efficacité.

II. S’appuyer sur le genre romanesque pour épouser l’expérience vidéoludique.

A. Les mécaniques de jeu.

La retranscription du genre vidéoludique de MMORPG se fonde sur le genre littéraire de roman. En effet, l’auteur confronte le lecteur à l’expérience du jeu vidéo en s’appuyant sur des ressources propres au genre romanesque. La proximité du lecteur au personnage de Kirito se fait par le biais d’une écriture qui favorise un style de « journal intime » : point de vue interne, et narrateur autodiogétique qui raconte son histoire. Le personnage de Kirito décrit avec précision les mécaniques de jeux et le comportement du joueur tout en détaillant sa façon de jouer : en solo, prenant des distances, etc. Le lecteur peut dès lors s’identifier aux explications et peut, lui aussi, se projeter dans ce monde puisque Kirito en détaille le fonctionnement et l’attitude des joueurs.

La voix narrative de Kirito permet également de confirmer l’érudition du personnage puisqu’il décrit le monde mais explique également son fonctionnement. Ce ressort narratif permet de caractériser et d’étoffer le personnage. Les éléments du jeu sont également développés. La conquête se fait selon l’ordre suivant : découverte d’une ville, des zones alentours, puis combat de boss pour ensuite enchaîner sur la découverte d’une autre ville. Enfin, le genre romanesque permet de mieux retranscrire les combats pour ainsi être au plus proche du jeu-vidéo. Les combats sont, souvent, décrits selon le mode narratif de « scène » selon lequel la longueur textuelle des combats est égal à la durée des combats. En un mot, si un combat se déroule sur 15 minutes, alors le texte sera adapté au besoin pour que le temps de lecture s’approche de cette durée. Les combats sont tout aussi longs et intenses que ce qu’ils auraient été dans le jeu.

B. La relation aux joueurs.

Le style de « journal intime » du narrateur-personnage Kirito permet de mettre en avant les relations qu’il entretient avec les autres joueurs et avec monde qui l’entoure. Le lecteur peut dès lors s’identifier avec davantage d’aisance au personnage grâce à son rapport au monde virtuel et ses relations sociales.

La relation du joueur au jeu est également soulignée grâce au genre du « journal intime ». Le lecteur peut s’identifier à Kirito grâce à l’analyse que le personnage fait de son expérience et de ses sensations : « les combats lui avaient apportés une dose d’adrénaline. » (p269).

Comme les analyses le montrent, Sword Art Online s’occupe plus de détailler les mécaniques de jeux et les liens qui unissent les joueurs, que de développer les décors qui jonchent la progression des joueurs. En effet, la matière littéraire de Sword Art Online réside ailleurs que dans la narration de la conquête de l’Aincrad.

III. Une profonde réflexion : Le rôle du jeu-vidéo dans le rapport au réel.

A. Une réflexion sur le jeu-vidéo.

Non content de déployer un univers immense, à grand potentiel narratif, Reki Kawahara dresse l’ébauche d’une réflexion profonde sur le jeu-vidéo.

Par exemple, l’auteur, à travers la relation que tissent Kirito et Klein, au début du roman, montre que le jeu vidéo est un outil permettant de favoriser le lien social. L’aide que peuvent offrir les joueurs expérimenté aux joueurs débutant est un moyen de tisser des liens. De plus, le sentiment de réussite et d’accomplissement, symbolisé par la barre de progression, est également évoquée avec le personnage du débutant Klein. Le personnage de Kirito est également un support de réflexion sur le jeu-vidéo. Celui-ci confesse utiliser le jeu vidéo comme un moyen de s’échapper, en revêtant une autre personnalité. Enfin, les sensations de plaisir que procure le jeu sont également évoquées à travers le récit : « les combats lui avaient apportés une dose d’adrénaline ». (p.269). Ici, la dimension fade du réel s’oppose aux concentrés intenses d’adrénaline qu’offre le jeu vidéo.

Ces petits éléments, éparpillés tout au long du roman, viennent appuyer une réflexion sur le jeu-vidéo qui se présente comme un monde virtuel, alternatif au monde « réel ». Sword Art Online apparaît comme un support de réflexion sur les jeux vidéo et ses bienfaits. Toutefois, la réflexion du roman sur le jeu-vidéo n’est que l’esquisse d’une problématique plus globale.

B. Le jeu vidéo est un support de réflexion sur le réel.

Les nombreux passages descriptifs détaillant les mécaniques de jeu, la relations des joueurs, et le développement de Kirito ne sont que l’ébauche d’une réflexion sur le « réel ». La réflexion sur le réel se fonde essentiellement sur le point de vu interne de Kirito. La véritable matière littéraire de Sword Art Online réside dans le rapport à ce qui nous entoure, ce qui fonde le « réel ».

Beaucoup de personne reproche à Sword Art Online son manque de développement quant aux 100 étages qui composent l’Aincrad et le monde. Néanmoins, sa matière littéraire se trouve moins dans la description du jeu vidéo que dans la réflexion que le jeu-vidéo dresse sur le réel.

À plusieurs reprises, est évoqué, par le récit, l’idée selon laquelle le monde réel serait un sujet de discussion tabou. L’idée derrière cette interdiction est qu’en l’absence d’un moyen de retour, le monde virtuel apparaît désormais pour les joueurs comme le monde réel. Au sein des joueurs, la frontière entre réel et virtuel commence à se brouiller. L’importance de l’impératif de mort dans le récit est dévoilée par la phrases : « Elle n’avait jamais pensé qu’elle pouvait mourir pour de bon ». C’est cette contrainte de mort qui forge le monde virtuel en un monde réel. Tout l’enjeu du monde de Sword Art Online repose sur cette contrainte de mort définitive qui s’immisce dans le jeu-vidéo. Ainsi, avec cet impératif de mort, tout devient plus important, unique, privilégié. Le jeu-vidéo devient une réalité ou, du moins, un espace qui se substitue au réel. S’ajoute à cela un but clair: finir le jeu. Tout devient clair lorsque le but est défini, tout événement gagne en importance. Les moments les plus insignifiants, qui s’écartent de la ligne « finir le jeu » prennent toute leur importance grâce à leur caractère unique et privilégié. C’est ainsi que la déception d’Asuna lorsqu’elle est coincée au début du jeu se change en reconnaissance d’avoir pu expérimenter un monde différent du réel avec ses avantages indéniables, précédemment cités.

Toutefois, sous la plume de Reki Kawahara le jeu-vidéo prend une dimension tout autre. Il devient un espace qui permet de comprendre le réel.

C. Une mise en abyme : Reki kawahara tel Kayaba Akihiko.

Dans un premier temps, il est possible de voir une mise en abyme de l’auteur dans le personnage de Kayba Akihiko.

Les deux personnages sont semblables. Ils sont tous deux créateurs, ont tous deux fabriqués un monde. Tous deux observent également le monde qu’ils ont créé grandir via un personnage : Reki Kawahara via son personnage de Kayaba Akihiko et Kyaba Akihiko via son personnage de Heathcliff. Enfin, les deux créateurs cherchent activement le sens du réel que ce soit grâce au jeu-vidé ou grâce au roman.

Ainsi le genre romanesque s’assimile directement au genre du jeu-video comme moyen d’appréhender le réel. Le lecteur peut également voir, dans l’œuvre de Sword Art Online, une esquisse de réflexion sur le genre romanesque même. Le jeu-vidéo, le roman, l’art en général, sont, sous la plume de Reki Kawahara, un espace qui permet de comprendre le réel. En effet le roman s’assimile au jeux-vidéo sur plusieurs points en cela qu’il permet de : s’échapper, en se réfugiant dans un monde alternatif, virtuel ; se comprendre soi-même grâce aux voix analytiques et à la mises en scènes de personnages, (un peu comme un rêve qui mets en scènes des personnages pour se comprendre) ; et d’appréhender le réel, en mettant en scène différemment les éléments qui composent le réel pour y faire face différemment et de manière plus efficace.

Conclusion.

Beaucoup de personne reprochent à Sword Art Online son manque de développement quant aux 100 étages qui composent l’Aincrad et le monde. Toutefois, le genre de Light Novel impose au récit de se concentrer sur les éléments qui lui sont essentiels. Si beaucoup d’éléments narratifs sont expédiés et entachent le bon déroulement de l’intrigue, le récit, en son fondant sur le jeu-vidéo, crée une réflexion qui lui est propre. Le véritable propos du récit réside dans les opportunités que permettent le jeu-vidéo, sa réflexion sur le réel, plus que dans la description d’un jeu. En somme, l’Aincrad, bien qu’il soit source de voyage et de dépaysement, sert avant tout de mise en scène pour évoquer les bienfaits du jeux-vidéo. Cette mise en scène s’appuie sur des ressorts propres au genre romanesque pour retranscrire au mieux les sensations et les vécues de jeu du personnage. De plus, cette même mise en scène du jeu-vidéo sert de support pour réfléchir et appréhender le réel, grâce, notamment, à une mise en abyme permettant d’assimiler le jeu-vidéo et le roman. L’auteur suggère que le roman, le jeu-vidéo, l’art en général, est un moyen pour tous d’apprendre à appréhender le monde qui nous entoure.

© Hazuki Ellidens.

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